Tunisie : Ici tout est mort les pêcheurs contraints à l’exil
Tunisie : Ici tout est mort les pêcheurs contraints à l’exil
À Zarzis, la vie tourne énormément autour du port et des pêcheurs.
En Tunisie, les pêcheurs de Zarzis ne peuvent plus travailler, car la mer, contaminée par des pollutions multiples, se vide de ses poissons. De plus en plus de jeunes optent alors pour l’exil.
Touristes
Les touristes sont encore peu nombreux en mars 2023 à Zarzis, petite ville côtière du sud de la Tunisie, mais sur le front de mer, les cuisines du restaurant El Bibane sont déjà approvisionnées tous les jours en poisson frais.
Port
Quelques centaines de mètres plus loin à l’entrée du port, la terrasse de Moshen ne désemplit pas, la capture du jour est vendue à même les barques dès le retour des embarcations sur la plage qui relie les deux établissements.
Sorties
À Zarzis, les sorties en mer sont une affaire de famille. Située tout près du golfe de Gabès, pépinière historique de la Méditerranée, la ville a vu défiler des générations de pêcheurs d’éponges, de karous ou de dorades.
Jeunes
Mais comme de nombreux jeunes Zarzissiens, Balsem, lui, ne deviendra pas pêcheur. « Tous mes oncles le sont, pourtant. Mais c’est mort. »
Oasis
Car les heures prospères de cette oasis maritime, où les poissons affluaient pour la reproduction avant de se disperser dans la Méditerranée, ne sont plus qu’un lointain souvenir.
Local
Depuis leur petit local du centre-ville de Zarzis, les membres de l’association des pêcheurs de Zarzis ne tardent pas à désigner le premier responsable : le Groupe chimique tunisien.
Implantée
Implantée depuis le début des années 1970 dans la zone industrielle de Ghannouch, près du golfe de Gabès, l’entreprise transforme le phosphate en acide phosphorique, puis en engrais.
Étude
Selon une étude de la Commission européenne datée de 2018, cette activité entraîne chaque année le rejet, sous forme d’une boue gypseuse, de 5 millions de tonnes de phosphogypse, un déchet toxique chargé en métaux lourds.
Déverse
Il se déverse ensuite dans la mer, à la cadence infernale de 40 000 m³ par jour en moyenne, ce dépôt perturbe la photosynthèse de l’un des principaux puits de carbone de la Méditerranée : l’herbier de Posidonies.
Détérioration
La détérioration de cet habitat, déjà largement éprouvé depuis les années 90 par le ratissage des fonds marins par les chaluts, entraîne, sous le regard impuissant des petits pêcheurs, celle de toutes les espèces halieutiques.
Interpellé
« On a interpellé le ministère de l’Agriculture, les autorités locales, organisé des réunions. Rien n’a été fait », s’agacent-ils.
Effondrement
La Tunisie, vivotant depuis l’échec de sa révolution du jasmin entre les mains de gouvernements incapables d’enrayer l’effondrement de l’économie, n’a jamais su mettre en place une politique efficace de lutte contre la pollution.
Rejets
Aux rejets de phosphogypse s’ajoutent ainsi ceux des industriels, principalement ceux des Industries chimiques du fluor de Gabès, eux aussi chargés en métaux lourds, et des particuliers.
Des déchets s’amassent à plusieurs endroits de la ville en bordure de plage. Ils terminent la plupart du temps dans l’eau ou dans les zones plus désertiques, emmenés par les vents.
Moyens
De son côté, l’Office National de l’Assainissement n’exécute pas ses missions de traitement des eaux correctement, prétextant un manque de moyens.
Espèces
« Les espèces qui se reproduisent ici, elles avaient un goût et une spécificité vraiment extras. Aujourd’hui, tout le périmètre est mort », déplore Méjid Amor, secrétaire général de l’association des pêcheurs de Zarzis.
Situation
Déjà critique, la situation se détériore encore davantage en raison du réchauffement climatique et l’apparition depuis une dizaine d’années en Méditerranée de plusieurs espèces invasives dont le crabe bleu, qui dévore tout sur son passage. Ici, on l’appelle parfois « Daesh », tant il est redouté.
Majid
« Préparant sa sortie en mer, Majid est affairé à en extraire quelques spécimens de ses filets, c’est une catastrophe. ils s’emmêlent dans les filets et cassent tout avec leurs pinces. On est obligés de racheter plusieurs filets chaque année », dit-il.
Catastrophique
Inutile d’espérer en tirer un quelconque profit : le crabe bleu ne s’écoule qu’à deux dinars (60 centimes d’euros) le kilo, quinze fois moins que le loup et la dorade.
Désertification
Face à la désertification du golfe, ceux qui le peuvent s’aventurent au large. Quand c’est encore possible. Sur la table centrale du bureau de l’association, l’un de ses membres, Salah, déploie une carte maritime de la Méditerranée.
Sécurité
Au fil des ans, la sécurité des pêcheurs serait menacée en raison de la pression menée par leurs homologues et voisins libyens, qui n’auraient aucun scrupule à franchir les frontières officielles et à se servir dans les eaux tunisiennes.
Milices
« Nous, on a des gardes-côtes et la Marine nationale, eux, ils ont des milices. Quand on n’a pas un gouvernement avec qui discuter, on subit », déplorent les marins.Saber, qui cumule son emploi de fonctionnaire avec des sorties en mer hebdomadaires pour subvenir aux besoins de sa famille, confirme leurs propos.
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